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Sur les Ailes de la Sardine
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16 juin 2012

Entre les lignes et la matière : des trésors pour la peau

À Madame Sonia Delaunay


Au commencement était une robe, une robe du soir, Ouverte sur le Paradis,

Et qui avait la forme des oiseaux et la teinte des anges.

Tout est mystère dans la soie, Dans la laine et dans le coton; L'art de couper une robe

Tient du prodige et de la pige.

Je chante l'étoffe,

L'étoffe aux mille noms et aux mille origines,

Depuis celle qui prend naissance à la mamelle des brebis,

Et celle qu'un ver paradisiaque combine dans sa bonne humeur, Jusqu'à celles qui font leur nid sur les arbres équatoriaux,

Jusqu'à celles qui sont issues des petites fleurs bleues des champs, Toutes les étoffes,

Les étoffes fondantes plus douces que des yeux en pleurs,

Les étoffes crues dont le contact fait défaillir les cardiaques,

Et celles dont les grains épais sont des caresses quadrangulaires,

Les fragiles étoffes où transparaît la poitrine des jeunes malades,

Et celles qui tombent à grands plis sur les vastes hommes d'affaires,

Les lourdes étoffes plus lourdes que la mort,

Et celles qui sont plus légères que la vie,

Celles qui se complaisent dans l'incommensurable,

Et celles dont l'attrait est fait de chicane et d'erreur,

Et celles qui mordent, et celles qui saignent,

Et jusqu'à celles dont la beauté est faite de monstrueux trésors ...

Ah!comme la femme va devenir une chose fabuleuse!

Une quintessence de l'Univers!

Elle empruntera sa ligne aux éléments naturels,

A tout ce qui coule et vole, aux rivières et aux serpents.

Elle va se vêtir de peaux de bêtes, d'arcs-en-ciel et de feuilles d'arbres.

Elle s'approprie la teinte des forêts et du soir, la teinte incertaine et totale

Elle saisit d'un geste prompt tout ce qui passe, tout ce qui fuit,

Elle est au centre de la Matière et la Matière est son enfant.

Autour d'elle, voici les productions de la nature, les lézards et les fruits

Les végétaux, les gemmes, les écailles et les cailles.

Car ma volonté est d'utiliser tous les matériaux,

Le poil et le crin, qui sont des voix éloquentes,

Le cuir qui a un caractère royal,

Le parchemin, symbole de l'intelligence, joie de l'esprit,

Le verre, le verre en fleurs,

Le papier qui ressemble aux nuages et aux roses-thé,

Et peut-être l'ardoise et peut-être le bois,

Et qui sait? les métaux, les métaux pleins des secrets de la Terre,

Le métal rouge, le métal vert, et celui qui n'a pas de couleur définie

J'aime les couleurs fondues, composées et insaisissables,

Celles que ni les esprits; distingués ni les chimistes chenus ne savent nommer

Celles qui sont joie, optimisme et plénitude,

Celles qui s'apparentent aux Scarabées et aux petits insectes illustres,

Celles qui sentent la chair et les issues de la nature,

Celles qui sont légèrement phénoménales et respectueusement abracadabrantes

J'aime les couleurs secrètes,

Les couleurs nues,

Celles qui sont un mouvement, un orbe et une révolution.

                      Toutes les lignes vont au cœur.

Les manches sont les ailes du cœur.

L)es chaussettes couleur de cœur.

Les bottines rythment le cœur.

Le pantalon escalade le cœur.

Le gilet, c'est le valet de cœur.

La cravate est le nœud du cœur.

La boutonnière est la fleur du cœur.

Toutes les lignes vont au cœur,

Toutes les lignes vont au cœur!

La vitesse ronde affole nos tissus et nos jambes.

Le sang galope dans nos veines au r-ythme de l'Univers.

Plus rien jamais n'arrêtera ni nos pouls ni la Terre tournante.

Une robe n'est plus une petite chose plate et close,

Mais elle commence en plein ciel et se mêle aux mouvements astraux,

De sorte que celle qui la porte porte le monde sur son dos.

L'immobilité est morte et voici le règne du mouvement,

Le mouvement qui naît aux talons pour se répandre dans les étoiles,

Le mouvement circulaire et coloré qui est au centre de tout, qui est Tout,

Et voici qu'une robe est une danse.

Joseph delteil ( 1894-1978)

 

robes

Robes Christian Lacroix, musée Reattu Arles ( 2008)


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Commentaires
V
Que c'est beau...
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